1939-1945 : Le programme d’extermination T4. Les enfants ‘hors normes’ premières victimes des médecins nazis.
D’après un article de Vera Sharav
https://ahrp.org/1939-1945-medicalized-murder/
Le programme T4 et l’euthanasie des enfants hors norme
" L'euthanasie des enfants hors norme " est un programme meurtrier, unique dans l'histoire de l'humanité, qui avait les nourrissons, les enfants et les jeunes adultes pour cibles dans la mise en oeuvre d’une vision darwiniste de la société. En assassinant systématiquement les enfants ‘inaptes’, les scientifiques cherchaient à éradiquer des phénotypes pathologiques – dans un esprit d’extermination eugéniste. Ces faits sont encore peu connus, puisque ce n'est qu'en 2000 que les historiens ont révélé les archives de 30 centres de mise à mort, faussement appelées Kinderfachabteilungen ("services spéciaux pour enfants"), établis dans des institutions médicales et paramédicales de l’époque. Les premières victimes de ce programme secret d’extermination camouflé en ‘soins’ étaient des enfants allemands handicapés qui ont été assassinés par des médecins et des infirmières. "La participation des médecins était toujours volontaire et intentionelle, ils conservaient l'autorité ultime d'ordonner ou de refuser un meurtre autorisé par Berlin." (Lutz Kaelber. Le meurtre d'enfants dans l'Allemagne nazie : La mémoire des crimes médicaux nazis et la commémoration des enfants victimes d'euthanasie dans les établissements Eichberg et Kalmenhof, Sociétés, 2012).
L’élimination en masse d'enfants et d'adultes allemands handicapés a été planifiée, organisée et mise en œuvre par le Comité secret du Reich sous le Bureau du Führer, qui était l'organe prééminent chargé de l'hygiène raciale et de la politique démographique dans l'Allemagne nazie. Ses membres appartenaient à l'élite du corps médical. Les SS n'ont joué aucun rôle dans le projet dit d'"euthanasie" du programme T4. Il a été entièrement exécuté par des professionnels de la santé qui ont facilité ces meurtres sous couvert médical, ainsi que le déroulement d’une série d’expériences abjectes ; ces sont donc des professionnels de la santé qui ont planifié chaque étape de cette extermination et participé activement à sa mise oeuvre.
La phase de sélection a commencé par un décret d'État ordonnant aux médecins et aux sages-femmes de remplir un questionnaire signalant tous les nouveau-nés et les jeunes enfants de moins de trois ans ayant des signes d'anomalies ou des formes de handicaps mentaux ou physiques spécifiques.
Le Dr. Hans Heinze, pionnier du meurtre sur ordonnance
Le questionnaire, rédigé dans un langage anodin, donnait l'impression qu'il s'agissait d'une enquête scientifique destinée à aider les enfants atteints de pathologies graves, alors qu’en réalité il était utilisé pour établir une liste de condamnés à mort. Les enfants étaient sélectionnés sur la base de ces questionnaires par trois "experts médicaux" (psychiatres) - le Dr Hans Heinze, le Dr Ernst Wentzer et le Dr Werner Catel - qui décidaient quels enfants éliminer. Le programme a ensuite été étendu aux enfants de moins de 17 ans. Ils étaient secrètement transportés dans l'une des 22 salles d'exécution, dans lesquelles 27 médecins opéraient leur mise à mort (Friedlander. Origines du génocide nazi, tableau 3-4)
Le professeur Henry Friedlander souligne qu’une fois les questionnaires remplis - les enfants passaient sous la tutelle du Comité du Reich pour la suite de tout le processus - de sélection, d'observation, d'évaluation, de mise à mort et de dissection. Lorsqu’un enfant était désigné pour l'euthanasie, il était pratiquement impossible pour un parent d'intervenir et de le sauver.
Certains enfants handicapés étaient enlevés à leurs parents contre leur gré pour être "soignés" dans une pension. On leur disait que les enfants recevraient des interventions thérapeutiques avancées ; ceux qui ont résisté ont été mis sous pression, contraints et menacés de perdre la garde de leurs enfants en bonne santé. Les parents apprenaient plus tard que leur enfant était mort de ‘cause naturelle’ ; on ne leur disait jamais que les médecins les avaient ‘euthanasiés’.
Henry Friedlander rapporte que les médecins des services de mise à mort étaient impatients de remplir leurs quotas car le personnel d'un "service d’euthanasie productif" recevait une prime financière. "Les médecins des salles d'exécution faisaient tout ce qui était en leur pouvoir pour empêcher les parents de retirer leurs enfants". (Friedlander, Les origines du génocide nazi : From Euthanasia to the Final Solution, 1995)
Le premier service d'euthanasie pour enfants a été créé à Brandebourg-Gorden par le psychiatre Hans Heinze et a servi de modèle à d'autres. La méthode d'euthanasie utilisée était principalement l'injection de barbituriques, de morphine ou de l’antiépileptique Luminal en surdosage. Dans certains cas, les gaz d'échappement des camions étaient utilisés pour gazer des groupes de patients.
En 1940, un premier groupe de 59 enfants étiquetés comme ayant un "potentiel pour la recherche" a été transféré de l'asile d'État de Brandenburg-Goren vers la chambre à gaz du centre d'extermination de Brandenburg afin de faciliter l'examen de leur cerveau immédiatement après leur mise à mort. On a retrouvé de nombreux dossiers sur ces "enfants de la recherche", notamment les antécédents médicaux, les examens neurologiques, les résultats d’encéphalogrammes expérimentaux douloureux répétés et le pronostic de développement intellectuel.
L’on sait que lors de la première phase d’euthanasie dans le cadre du projet T4, un total de 9 772 enfants et adultes handicapés ont été assassinés par asphyxie au gaz au centre d'euthanasie de Brandebourg en 1940. L’on possède encore les données des registres originaux : 105 en février ; 495 en mars ; 477 en avril ; 974 en mai ; 1 431 en juin ; 1 529 en juillet ; 1 419 en août ; 1 382 e septembre et 1 177 en octobre.
Ces enfants ont constitué le premier groupe de victimes nazies choisies par les médecins pour leur intérêt scientifique. Ils ont été exécutés "sur commande" afin de déterminer une éventuelle transmission héréditaire de chaque maladie sur base de l'examen post-mortem de leur cerveau. (Sally Rogow, Hitler's Unwanted Children : Children With Disabilities, 1998) [Sally Rogow a été membre du conseil d'administration de l'Alliance for Human Research Protection jusqu'à sa mort, le 21 décembre 2012].
Collection de cerveaux des enfants assassinés dans le programme T4.
Dr. Julius Hallervorden, collectionneur de cerveaux
Les cerveaux de 40 de ces enfants ont été prélevés par le Dr Julius Hallervorden, chef du service de neuropathologie de l'Institut Kaiser-Wilhelm pour la recherche sur le cerveau. (Hohendorf. La recherche médicale et l'euthanasie nationale-socialiste, 2014). Ceci a permis à la communauté médicale de cette université d’exploiter la mise à disposition de sujets humains destinés à l'extermination. Chaque individu sous le joug de l'État nazi était désormais considéré comme un sujet susceptible d’être livré à toute sorted’expériences inhumaines. Chaque victime assassinée dans un centre de mise à mort, un camp de concentration/mort ou une chambre d'exécution de la Gestapo pouvait être enrôlé de force dans cette ‘recherche expérimentale’.
Hallervorden a accumulé une grande collection de cerveaux de ces enfants assassinés avant de profiter de l’extension du programme T4 aux cas psychiatriques adultes à l’université de Brandenbourg :
"J'ai entendu dire qu'ils allaient le faire, alors je suis allé les voir : Ecoutez, les gars, si vous voulez tuer tous ces gens, enlevez au moins les cerveaux pour pouvoir utiliser le matériel...". . . Il y avait un matériel merveilleux parmi ces cerveaux, de magnifiques déficients mentaux. . . . Ils m'ont demandé : "Combien pouvez-vous en examiner ?" et je leur ai dit un nombre illimité - plus il y en avait, mieux c'était. . . . Ils sont venus les apporter comme le camion de livraison d'une entreprise de meubles. La Société des ambulances publiques a apporté les cerveaux par lots de 150 à 250 à la fois. D'où venaient ces cerveaux et comment ils arrivaient jusqu'à moi, cela ne me regardait vraiment pas." (Harmut Hanauske-Abel. Ni pente glissante ni subversion soudaine : German Medicine and National Socialism in 1933, BMJ, 1996)
En dépit de son passé nazi, Julius Hallervorden est considéré comme l'un des principaux fondateurs de la neurologie infantile. La biographie élogieuse de Hallervorden dans le manuel Founders of Child Neurology (1990), qui a été rédigée par un célèbre professeur de la Harvard Medical School ne fait même pas allusion à l'exploitation par l’ancien nazi de ces meurtres à grande échelle, ni à la manière dont il a collecté tous ces cerveaux d'enfants et d'adultes pour ses expériences.
Dr. Hermann Pfannmuller, l’affameur du Reich
Le psychiatre Hermann Pfannmüller, directeur médical d'Eglfing-Haar, un centre d’élimination des enfants, a mis au point un régime spécial pour affamer pour les "mangeurs inutiles", ce qui lui a permis d'observer et de recueillir des données sur les effets de la malnutrition et de la privation de nourriture. Un témoin oculaire avait relaté sa visite du centre : “Pfannmüller a soulevé un enfant émacié et mou, proche de la mort, et a expliqué aux visiteurs que plutôt que de gaspiller des médicaments sur "ces créatures" " il était plus simple et plus économique d’utiliser une méthode naturelle en les affamant : Nous ne tuons pas... avec du poison, des injections, etc.... Non, notre méthode est beaucoup plus simple, et plus naturelle, comme vous le voyez.". "Il ne s’agit pas d’un retrait soudain de la nourriture, mais plutôt une d’une diminution progressive des rations." (Michael Greger, MD. Médecins nazis)
Le Dr Carl Schneider, criminel au service de la science
Carl Schneider, président du département de psychiatrie, doyen de la faculté de l'université de Heidelberg, était un fervent eugéniste. Il était une figure centrale du programme d’extermination T4 et des ‘travaux de recherche’ menées dans ce cadre..
En 1942, Schneider écrivait : "Des examens d’anatomie pathologique doivent être effectués et autorisées pour de nombreuses études, notamment via le programme T4." (Hohendorf et Rotzoll, Recherche médicale et euthanasie national-socialiste : 2014). Schneider était un fervent adepte du déterminisme biologique et de la nécessité d'éliminer tous ceux qui présentaient une pathologie déviant de la norme.
Les enfants désignés pour être mis à mort étaient souvent soumis à des expériences avant d'être assassinés ; ensuite leurs cerveaux étaient prélevés pour une analyse scientifique plus approfondie. "
Schneider a obtenu au moins 187 cerveaux pour des études anatomiques. Des documents ont révélé des expériences criminelles menées sur 21 enfants handicapés mentaux à la clinique de psychiatrie et de neurologie de Heidelberg, dirigée par Carl Schneider. Les expériences auxquelles ces enfants ont été soumis - et leur meurtre subséquent - ont été totalement occultées après la guerre. Schneider s'est pendu en prison alors qu'il attendait son procès à Francfort. Cependant, les médecins de Heidelberg ont continué à utiliser les cerveaux de ces enfants assassinés pour leurs examens neuropathologiques jusque dans les années 1990. (Hohendorf et Rotzoll, 2014)
Dans le cadre de ses recherches monumentales sur l'identification des victimes, le Dr Paul Weindling a retrouvé enfant au département de recherche de la clinique neuropsychiatrique de Heidelberg des dossiers contenant des données et des observations- psychologiques et anthropologiques – recueillies préalablement à l’exécution de chaque enfant. Les chercheurs ont utilisé des tableaux généalogiques et des anciens documents d’identité pour tracer l’origine raciale et ethnique de chacun d’entre eux. D'autres départements avaient aussi effectué des recherches supplémentaires. Des études de cas ont été utilisées pour décider quels enfants méritaient d'être exécutés à des fins neuro-anatomiques. Le but de ces recherches était d'analyser l'idiotie comme une condition héréditaire.
(Weindling. Victimes et survivants des expériences humaines nazies_2015).
La recherche visant à reconstruire les histoires des victimes, révèle à travers les détails de certains cas à quel point l’état d'esprit de ces cliniciens était morbide. Les rapports de certains patients ‘débiles’ n'apparaîssent pas nécessairement comme pathologique, mais plutôt comme le résultat d’une détresse naturelle dans cescirconstances traumatisantes. Ainsi cette fillette internée à Heidelberg, pour qui l’on mentionne simplementles paroles 'Ich habe hemweh' – je voudrais rentrer à la maison…
Les infirmières de la mort
Alors qu'un tollé public a conduit à la suspension officielle de l'opération d'euthanasie T4 pour adultes en 1941, le personnel médical a continué d’exécuter des enfants et des adolescents dans ce que l'on a appelé "l'opération d’euthanasie sauvage", au cours de laquelle un grand nombre de patients ont été tués (le nombre exact n'est toujours pas connu) par des surdoses de médicaments ou par une famine planifiée. On peut citer l'exemple de l'hôpital d'État bavarois de la ville de Kaufbeuren. Il a d’abord servi d'établissement de transfert T4 pour les patients désignés à l’élimination en provenance de toute l'Allemagne ; il a ensuite servi de centre d'"euthanasie sauvage" avec une salle d'exécution réservée aux enfants. Le personnel de Kaufbeuren a poursuivi l’extermination de patients jusqu’àprès la capitulation du régime nazi en mai 1945. Lorsque les soldats américains sont entrés dans l'hôpital de Kaufbeuren le 2 juillet, date à laquelle la capitulation inconditionnelle de l'Allemagne est devenue officielle, ils ont découvert un centre d'extermination qui était encore en activité.
Richard Jenne
Le dernier enfant du programme T4 fut mis à mort par l'infirmière en chef de Kaufbeuren et se nommait Richard Jenne. (Lindert J, Stein Y, Guggenheim H, Jaakkola JJK, von Cranach M, Strous RD. How ethics failed - the role of psychiatrists and physicians in Nazi programs from exclusion to extermination, 1933-1945. Public Health Reviews, 2013)
On estime qu’en tout entre 250 000 à 300 000 enfants et adultes handicapés allemands ont été exterminés sur ordre du régime nazi. (Herwig Czech. Pratiques médicales abusives sur les victimes d'"euthanasie", In Human Subjects Research After the Holocaust. 2014)
Lorsque je regarde ces infirmières enthousiastes, on se dit que le travail n'est pas tant de lutter contre la haine, mais plutôt l'aveuglement des soi-disants 'idéologies'...
Lorsque je regarde ces infirmières enthousiastes, on se dit que le travail n'est pas tant de lutter contre la haine, mais plutôt l'aveuglement des soi-disants 'idéologies'...